« La guerre hybride de l’OTAN en Ukraine » (3/4) I Reportage de Lucien Cerise (2016)

En 2017, les anciennes éditions Le Retour aux Sources publiaient mon livre intitulé « Retour sur Maïdan – La guerre hybride de l’OTAN ». J’avais commencé à le rédiger en février 2014 pour essayer de comprendre les raisons du traitement occidental très orienté, systématiquement antirusse, des événements insurrectionnels de l’hiver 2013-2014 en Ukraine. Il me semblait urgent de critiquer la parole dominante, d’autant plus que ce coup d’État pouvait dégénérer en conflit mondial opposant l’OTAN à la Russie et ses alliés. Le fil conducteur de l’ouvrage était une question, toujours d’actualité en 2022 : « Pourquoi les médias occidentaux nous demandent-ils avec une telle insistance de soutenir l’Ukraine et de haïr la Russie ? » Afin d’enrichir ma documentation, je suis allé en 2016 quelques jours dans la capitale ukrainienne, pour voir de mes yeux le cadre urbain du putsch de Kiev, dont la place centrale, dite Maïdan, fut l’épicentre. Les quatre articles que j’ai écrits à l’époque pour accompagner la promotion du livre sont illustrés par des clichés personnels pris sur place et des sources trouvées sur internet. Je les ai revus et mis à jour pour cette nouvelle publication, en complément de la nouvelle édition de l’ouvrage par Culture & Racines.

- Lucien Cerise.


PARTIE III

La capitale de l’Ukraine, Kiev, s’étend sur les deux rives d’un fleuve, le Dniepr, mais le centre-ville est entièrement sur la rive ouest. Le long de la berge, un immense espace vert occupe plusieurs kilomètres du nord au sud. Y sont implantés plusieurs symboles et institutions de la capitale, dont les plus emblématiques sont le monastère Saint-Michel-au-Dôme-d’or, le stade du club de football Dynamo, le Parlement (Verkhovna Rada), et en face du quartier Pechersk, le monastère de la Laure des Grottes et le Musée de la Grande guerre patriotique. Visite commentée.


Le Musée de la Grande guerre patriotique, inauguré en 1974 et renommé en 2015 « Musée de l’histoire de l’Ukraine dans la Seconde guerre mondiale », est un vaste parc parsemé de reliques militaires et de monuments commémoratifs, dont la statue colossale de la Mère Patrie, érigée en 1981, que l’on voit de loin sur son piédestal (ci-dessous).



Exemple de sculpture épique émaillant ce musée à ciel ouvert, réalisée dans le style dit du « réalisme socialiste », à la composition et au lyrisme finalement assez peu réalistes. Une vidéo de touriste postée sur YouTube propose un commentaire de cette immense installation mémorielle :

Si ce musée n’a rien de délassant, on est pris par l’intensité émotionnelle que dégagent les scènes de bas-reliefs très évocateurs des souffrances connues par la guerre. Le site est dominé par la gigantesque statue de Mère Patrie, faisant partie du site du musée. »

Source : « Ukraine 2013 : KIEV "5", Musée de la Seconde Guerre Mondiale » (vidéo ci-dessous)



Aux pieds de la Mère Patrie – au bouclier orné d’une faucille et d’un marteau – est gravé un mémorial des grandes villes d’URSS. La plaque de Moscou (Москва) était encore indemne en 2016. Dans le nord de Kiev, l’avenue de Moscou avait déjà été rebaptisée avenue Stepan Bandera, en l’honneur du fameux supplétif ukrainien du Troisième Reich. Le gouvernement issu de la révolution de Maïdan réécrit l’histoire dans un sens un peu orienté, ce qui provoque quelques réactions en Pologne, notamment de la part du Père Tadeusz Isakowicz-Zaleski, de l’archidiocèse de Cracovie, dissident anti-communiste notoire dans son pays, mais qui n’oublie pas pour autant les crimes commis par d’autres anti-communistes :

Le 7 juillet 2016 l’une des plus grandes avenues de Kiev, la capitale de l’Ukraine, a été renommée avenue Stepan Bandera, l’un des dirigeants de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne (UPA) et le dirigeant de l’Organisation des nationalistes ukrainiens à tendance extrémiste dite OUN(B). Il a collaboré avec l’Allemagne nazie en créant la légion ukrainienne sous commandement de la Wehrmacht. Ce renommage de rue intervient la veille de la commémoration des victimes du massacre de Volhynie – épuration ethnique perpétrée par OUN entre 1942 et 1944, où plus de 100 000 civils polonais ont été sauvagement massacrés par les nationalistes ukrainiens. Lors du vote à la municipalité de Kiev, sur 97 députés présents, 87 ont voté "pour". Aucun n’a voté "contre". Le 9 juillet 2016 Petro Porochenko s’est rendu au mémorial des victimes du massacre de Volhynie à Varsovie pour y déposer des fleurs... L’Ukraine a réécrit l’histoire présentant les massacres commis par les nationalistes ukrainiens pendant la Deuxième Guerre mondiale comme un conflit militaire ukraino-polonais dans lequel les deux partis s’affrontaient. Et beaucoup d’Ukrainiens y ont cru. »

Interview du Père Tadeusz Isakowicz-Zaleski : « Kiev. Avenue Stepan Bandera et réaction polonaise. Massacre de Volhynie », 10 juillet 2016.




Les Forces armées d’Ukraine (FAU) défilaient le 9 mai 2015 devant la statue de la Mère Patrie, le drapeau ukrainien et le drapeau de l’Union Européenne. Ces mêmes armées ukrainiennes qui prêtent allégeance à l’UE, c’est-à-dire au mondialisme, depuis la révolution de Maïdan, bombardent depuis 2014 la région du Donbass qui, elle, refuse de se soumettre à l’UE. Qui a dit que l’Europe c’était la paix ?
 
Source : « Worlds Apart: Victory Day as Celebrated by Kiev and Donbass »


Les autorités ukrainiennes sont tellement contentes d’avoir signé l’accord d’association avec l’Union Européenne qu’elles ont fait réaliser un montage Photoshop pour associer encore plus étroitement les deux drapeaux et la statue, comme on le voit sur la page du site internet qui lui est consacrée :

La majesté du monument est vraiment impressionnante. La figure d’une femme avec un bouclier et une épée dans les mains a été installée sur le piédestal conique de 40 mètres de haut (hauteur totale de 102 mètres, poids de 500 tonnes), la hauteur de la sculpture est de 62 mètres. »


Source : « The Motherland Monument »



Plusieurs pièces d’artillerie ukrainienne sont exposées avec leurs cartels expliquant qu’elles ont servi à bombarder le Donbass dès 2014, telles que ce lance-roquettes multiple Grad (la grêle), surnommé aussi « Katioucha », ou « orgues de Staline ». La chaîne YouTube « Army of Ukraine TV » proposait à l’époque quelques vidéos de tirs en pleine nuit sur les civils, appelés des « Russes » pour les diaboliser, « quelque part dans l’Est de l’Ukraine ». Qui a dit que la guerre avait commencé en 2022 ?

Source : « Massive launch of MLRS BM-21 GRAD - UKR ARMY RECORD. Published on Nov 30, 2014. Somewhere in the Eastern Ukraine, ukrainian MLRS BM-21 Grad fire at russians »
https://m.facebook.com/War1982/videos/massive-launch-of-mlrs-bm-21-grad-ukrainian-army-somewhere-in-the-eastern-ukrain/816809231812689/?locale=ms_MY

Les résultats de ce type de bombardement commentés par Christelle Néant, de l’agence DONi (Donetsk International Press Center) :

Dimanche 5 novembre 2017 au soir, l’armée ukrainienne a lourdement bombardé le district de Kievskyi à Donetsk, visant ainsi délibérément les civils. Neuf bâtiments ont été endommagés et un homme blessé lors de ces crimes de guerre commis par les FAU. »

Source : « Résultats des bombardements des FAU sur le district de Kievskyi à Donetsk - 06/11/2017 ».

Les militaires américains supervisent les opérations. Vidéo du 5 avril 2017 :

Des conseillers de l’armée américaine de la 45ème brigade d’infanterie de combat surveillent le tir d’un lance-roquettes multiples ukrainien BM-21 Grad de 122 mm lors d’un exercice de tir réel du bataillon interarmes organisé au Centre d’entraînement au combat de Yavoriv. »

Source : « Ukrainian BM-21 Grad Multiple Rocket Launcher »


Ces militaires américains sont déployés par le Groupe multinational de formation en Ukraine (Joint Multinational Training Group-Ukraine, JMTG-U). Qu’est-ce que ce groupe « multinational » vient faire chez les « nationalistes » ukrainiens ? La réponse est sur le site officiel de l’armée américaine en Europe (The official Homepage of United States Army Europe), où l’on apprend comment la guerre de l’OTAN se préparait discrètement depuis des années :

JMTG-U est construit de manière unique avec des acteurs clés qui incluent la Garde nationale et des soldats en service actif, des civils de l'armée américaine et des représentants du Canada, d'Estonie, de Lituanie et du Royaume-Uni. (…) Le Commandement multinational interarmées de l'entraînement (JMTC) joue un rôle crucial dans la mission car il aide à développer un centre d'entraînement au combat un peu comme la zone d'entraînement de Grafenwoehr, le terrain d'entraînement d'élite de l'armée américaine en Europe. "Il s'agit d'un partenariat avec l'armée ukrainienne pour construire ici une capacité qui leur permet d'entraîner leurs formations à un meilleur niveau que ce qu'ils font actuellement, en utilisant ce que nous avons appris pour gérer des centres d'entraînement au combat", a déclaré Loveless. (…) Le JMTC poursuivra son partenariat avec les forces armées ukrainiennes pour les développer davantage à un niveau d'interopérabilité avec l'OTAN d'ici 2020, a déclaré Loveless. »
Source : « Joint Multinational Training Command to support Ukraine mission until 2020 », 26 février 2016


L’interopérabilité avec l’OTAN a donné naissance au mouvement ukrainien des « soldats LGBT », selon les principes atlantistes de « diversité inclusive » soutenus par le Pentagone, qui levait en 2016 l’interdiction des transgenres dans l’armée américaine :

"Les soldats transgenres enfin protégés" s’exclame l’éditorialiste qui revient sur la genèse de cette décision. Les transgenres dans l’armée pensaient que cette bataille leur prendrait au moins quinze ans, car ils devaient lutter contre une politique qui les décrivait comme des pervers. S’ils sortaient de leur silence, ils risquaient de se faire renvoyer de l’armée. Mais certains ont courageusement franchi le pas, souligne l’éditorialiste du New York Times. Et ce jeudi, moins de cinq ans après la levée de l’interdiction des gays dans l’armée américaine, les soldats transgenres ont donc obtenu les mêmes droits. »
Source : « Le Pentagone lève l’interdiction des transgenres de l’armée américaine », 1erjuillet 2016


Toujours le long du Dniepr, dans une bande de terre contigüe au Musée de la Deuxième Guerre mondiale, s’étend la Laure des Grottes de Kiev, centre de l’église orthodoxe d’Ukraine, patriarcat de Moscou, et lieu de résidence du Métropolite Onuphre. Une « laure » (лавра, lavra) est un monastère orthodoxe, et l’on parle de « grottes » ou encore de « catacombes » parce que les moines qui l’ont fondé en 1051 ont commencé par mener une existence troglodyte en profitant des accidents naturels du terrain pour s’y abriter. On constate le chemin parcouru depuis cette époque lointaine en admirant les superbes bâtiments construits au fil du temps et inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO.


Autre époque, autre architecture, un peu moins soignée. Au loin, sur la rive Est du Dniepr, on voit les tours et barres d’immeubles des banlieues de Kiev s’étendre sur des kilomètres, legs de la période communiste. En 1992, à la dissolution de l’URSS, un patriarcat de Kiev s’est constitué et a fait schisme du patriarcat de Moscou (pour s’établir dans un autre monastère : Saint-Michel-au-Dôme-d’or). Un triste fait divers début 2018 soulignait la fracture entre les deux patriarcats :

La mort en Ukraine d’un enfant en bas-âge, tué par un homme ivre qui se suicidait, a révélé au grand jour les profondes divisions entre les paroisses orthodoxes du pays, partagées entre le patriarcat de Kiev et celui de Moscou. (…) Lorsque la famille de l’enfant a voulu l’enterrer, le prêtre d’une église orthodoxe appartenant au patriarcat de Moscou a refusé sous prétexte que le bébé avait été baptisé par le patriarcat de Kiev, selon la presse locale. (…) Après l’indépendance de l’Ukraine en 1991 et la chute de l’URSS, Filaret, ancien hiérarque du Patriarcat de Moscou, a créé une Église orthodoxe ukrainienne dont il s’est autoproclamé patriarche, ce qui lui a valu d’être excommunié par Moscou. L’église orthodoxe ukrainienne dépendante du patriarcat de Moscou reste la plus importante communauté religieuse de l’Ukraine, devant l’église du patriarcat de Kiev dont l’existence n’est reconnue par aucune Église orthodoxe dans le monde. »
Source : « Ukraine : querelle des églises orthodoxes autour de la mort d’un nourrisson », 5 janvier 2018


En représailles, quelques jours plus tard, l’organisation néo-nazie C14 (proche du parti Svoboda) menait une action de rue contre le patriarcat de Moscou :

« L’action des nationalistes près de la Laure de Kiev-Petchersk est terminée, des combats sont signalés. (…) Sur les photos publiées sur la page de l’organisation dans le réseau social, on voyait plusieurs dizaines de personnes bloquer l’entrée de la Laure avec une banderole "FSB, loin de la Laure". [FSB, services secrets russes] La raison de l’action était que la Laure refuse de chanter les morts qui n’ont pas été baptisés par l’église du Patriarcat de Moscou. »

Source : « Акція націоналістів біля Києво-Печерської Лаври завершилася, повідомляється про бійки », 8 janvier 2018
 
Ce groupe C14 doit son nom au slogan d’un nationaliste blanc associé au White Power américain, David Lane, qui tient en 14 mots : « We must secure the existence of our people and a future for white children » (« Nous devons assurer l’existence de notre peuple et un avenir pour les enfants blancs »). Soit, mais ce n’est pas en intégrant les organisations post-nationales et post-raciales de l’Union Européenne et de l’OTAN que les nationalistes ethniques ukrainiens réaliseront ce vœu. Que disait le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Pavel Klimkin, en septembre 2015, au moment de la « crise des migrants » ? :

Klimkin et l’Ukraine sont du côté de l’Allemagne dans le débat sur la crise des migrants. (…) Le ministre ukrainien des Affaires étrangères, Pavel Klimkin, a déclaré lundi (07 septembre) que son pays accepterait les réfugiés du Moyen-Orient si le pays devenait membre de l’UE à l’avenir. »

Source : « EU-Ukraine Refugee Crisis: Ukraine's Klimkin sides with Germany in migrant crisis debate », 7 septembre 2015.


Les mouvements religieux sont toujours politisés et militarisés. La guerre hybride de l’OTAN, avec son volet culturel et identitaire, fait feu de tout bois. Pendant l’EuroMaïdan, le patriarcat de Kiev s’était engagé du côté des révolutionnaires, donc pour l’intégration dans l’Union Européenne et l’OTAN, donc pour le wokisme, l’immigration extra-européenne et le LGBT, et a ainsi dévoilé sa véritable fonction de « cheval de Troie » de la société ouverte. L’ingénierie sociale et les technologies politiques permettent de comprendre quelle est la fonction (majoritairement inconsciente) du patriarcat de Kiev et des « nationalistes » ukrainiens dans le Système global : produire tous les signes extérieurs d’une identité conservatrice et traditionnaliste pour rabattre, dans les faits, au dernier moment et dans les alliances militaires, sur le mondialisme progressiste, libéral et libertaire.

Les autres parties du reportage sont disponibles en liens ci-dessous.

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