Modeste Schwartz présente son nouveau livre, « KØVID 1204 - 2020 »

En 1929, Marx a fait faillite, à titre posthume. Il n’y a pas de « crise finale du capitalisme », le capitalisme étant crise permanente et pérenne, fonctionnement par défaut d’une humanité déchue de toute tradition.
 
En Occident, la Grande Crise n’a pas mené au Grand Soir, amenant juste au pouvoir quelques Führers mimant un socialisme hétérodoxe, tandis que l’utopie communiste restait domiciliée dans une Eurasie centrale en voie de développement. Au moment de la piqure de rappel de 2008, Lénine l’a depuis longtemps rejoint dans la fosse commune des modèles dépassés, empoisonné post-mortem par les komsomoltsy, puis achevé d’un trait de plume par Eltsine et ses deux acolytes des républiques slaves de l’Est, en 1991.
 
En 1945, Sorel, Gentile, Schmitt & Cie ont à leur tour fait faillite – à vrai dire, moins du fait de Stalingrad, de la libération des camps et de la prise du Reichstag, qu’au vu de la fuite vers l’Ouest de la plupart des dignitaires nazis survivants, et de l’opération Paperclip de la C.I.A. : le fascisme, ultime imposture, s’est avéré soluble dans le « libéralisme cosmopolite ».
 
En 2020, aussi, de toute évidence, quelque-chose de très grand a dramatiquement fait faillite. Quelque-chose de plus profond, de plus fondamentalement occidental (et donc aussi de probablement plus ancien, en termes de formulation) que Marx ou Schmitt. Au moment du Confinement, c’est Hegel qui a fait/fini de faire faillite. Jusqu’à la Guerre froide dont il avait prévu le dénouement avec trois décennies d’avance, Kojève (grand-prêtre de l’hégélianisme de gauche) avait pu interpréter toute la séquence historique post-Iéna (presque deux siècles) comme le laborieux mopping-up (secousses secondaires) de la Fin de l’histoire diagnostiquée par Hegel en 1806. Mais au moment où la thèse, au terme de nombreux décalques affadissants, en arrive à son avatar Fukuyama, la conclusion n’est plus négociable.
 
Après 1991, cette mondialisation à laquelle Kojève lui-même travaillait avec zèle au moment de son trépas est un acquis incontestable : la République universelle néo-napoléonienne DOIT advenir séance tenante. Au lieu de quoi, on obtient la séquence 11 septembre 2001-mars 2020 : au lieu de « l’Etat homogène et universel », des Etats à la fois privatisés et (bio-)sécuritaires, se soupçonnant les uns les autres du pire et vivant dans une paranoïa permanente vis-à-vis de leur propre peuple, finissent en 2020 le travail de démolition des constitutions maçonniques entamé par les lois mémorielles des années 1980. Puis, c’est le « volet ukrainien » qui (indépendamment de la sincérité et des intentions réelles des acteurs) finit d’envoyer à la casse les « acquis de 1991 ». Fukuyama, disqualifié. Kojève, déterré pour exorcisme. Mais derrière ces exégètes d’importance variable, c’est la Phénoménologie de l’Esprit qui s’avère ne pas être non plus le sceau de la prophétie.
 
C’est en comprenant cela que, rouvrant Hegel, j’ai constaté que sa compréhension de l’histoire préchrétienne et chrétienne « primitive » était aussi lacunaire que les prédictions de Kojève et Fukuyama sont fausses – et pour la même raison. Heureusement, entre temps, j’avais aussi lu Spengler, qui m’a mis sur la piste d’une clé de compréhension. 
 
C’est seulement vers la fin du processus d’écriture que j’ai compris qu’il viendrait s’insérer, comme troisième tome d’une trilogie, dans la série inaugurée par « YIN, l’Occident comme Cunnicratie » et poursuivie par « Le Magicien de Davos ». Il peut néanmoins être lu indépendamment (je pense même que beaucoup trouveront un peu forcée l’insertion de ces trois volumes stylistiquement divergents dans une même trilogie – insertion qui n’a, en effet, pas été de nature programmatique, mais, si j’ose dire, organique).
 
« YIN, l’Occident comme Cunnicratie » est (pour être gentil), écrit dans un style aphoristique (du pire Nietzsche, si on veut) ; il faut dire qu’a l’époque, au début je ne pensais même pas tirer un livre de ces textes. Pour « Le Magicien de Davos », ouvrage au contraire totalement programmatique et calculé, j’ai au contraire, ressorti des placards de ma mémoire l’arsenal de la rédaction en trois parties, ce qui rend le texte plus lisible, mais aussi vaguement impersonnel.
 
« KØVID 1204-2020 » est un peu la synthèse de tout ça, plus lisible et en tout cas plus transparent à lui-même, que « YIN, l’Occident comme Cunnicratie », mais aussi plus profond et délié que « Le Magicien de Davos ». Alors même que la substance est, en grande partie, la même – mais en surface, ça ne sautera pas forcément aux yeux de tous les lecteurs …

Telle est, en gros, la genèse philosophique de mon texte intitulé« KØVID 1204-2020 », dont je relis les épreuves en ce moment, et que Culture & Racines s’efforcera de faire parvenir au plus vite sur vos étagères.

Modeste Schwartz
Juin 2022.

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