« Le psychologisme est un terme péjoratif qui désigne une tendance à tout interpréter au travers du spectre de la psychologie, et de faire de la psyché individuelle le noyau dur permettant de comprendre le monde. »

Le divorce de masse, conséquence du psychologisme.
Le divorce de masse est entre autres une conséquence directe du psychologisme ; et cette disposition d’esprit, à titre individuel, ce climat moral et intellectuel, à l’échelle collective, engendre directement cette situation inédite dans l’histoire du monde : le divorce de masse.
Le psychologisme.
Le psychologisme est une erreur comme conclusion et une bêtise comme mode de raisonnement. Toute réflexion qui, à tel ou tel moment de son déroulement, se laisse aller à des inflexions psychologisantes est nulle et non avenue. Du point de vue de la totalité individuelle, cette erreur consiste à accorder trop d’attention à la psyché et trop peu au corps, à l’environnement économique, social et culturel, plus largement, à l’environnement national (aux influences des caractères nationaux), ethnique et racial — où l’on comprend que le psychologisme, comme trait de notre époque, a partie lié avec cette autre erreur contemporaine qu’est l’antiracisme, mot aussi bête que la chose qu’il désigne puisqu’il implique que le racisme ne devrait pas exister (alors qu’il est un réflexe collectif sain et universel) et, en même temps, que les races n’existent pas : aporie logique qui voudrait dénoncer la hiérarchisation d’objets dont elle nie l’existence (à l’évidence, les races existent et le “racisme” n’existe pas ; comprendre : les comportements qu’on voudrait regrouper sous cette appellation infamante peuvent exister mais le fait même de les rassembler dans une catégorie morale est une erreur). Pour résumer simplement, le psychologisme voit trop l’esprit, et trop peu le corps ; le corps étant ici compris comme phénomène, comme réceptacle (par exemple de contraintes laborieuses : répéter durant plusieurs décennies, huit heures par jour, des gestes fatigants) et comme générateur de personnalité (on n’est pas, on ne devient pas le même si l’on est grand ou petit, gros ou musclé, laid ou beau...). Le psychologisme, toujours à l’échelle individuelle, est d’ores et déjà disqualifié pour cause d’enflure catégorielle. Il étouffe la psychologie, qui naît d’une catégorie, la psyché.
La psychologie “repose” sur la psyché, comme, mettons, le virilisme “repose” sur la virilité. La psychologie se veut explication de la psyché, le virilisme, défense de la virilité. La psychologie se veut explication de la psyché, pour permettre la compréhension de l’individu. Le psychologisme est cette enflure de la psychologie qui la fait déborder de sa catégorie, et lui fait noyer les autres données de la totalité individuelle dans celles de sa catégorie. Psyché partout, clarté nulle part. Il faut comprendre que le ver est fondamentalement dans le fruit car si le sérieux commande la compréhension de la totalité individuelle (l’esprit, le corps, l’histoire personnelle — le fameux “vécu”—, le contexte socio-économique, et plus largement historique, national et racial), la psychologie ne se donne comme objet que la compréhension de l’individu, notion beaucoup plus floue que la précédente. En effet, la catégorie d’individu se comprend facilement comme étant déjà un tout, sans qu’il y ait à chercher ce qui la constitue, tandis que celle de totalité individuelle ne peut être qu’un tout que dans la mesure où l’on en comprend les parties. En somme, le psychologisme — et toute psychologie court le risque de donner dans cette erreur — est cet aveuglement face au tout engendrée par une obsession pour une des parties.
S’ajoute à cela le fait que la psyché est une catégorie féminine, sorte de divinité molle dont on pourrait dire que l’étude amollit. La psyché est comme un opium, pour les sociétés qui se sacrifient sur l’autel de son culte : elle déploie des fumerolles abrutissantes, paralysant le corps et la volonté. Toute société qui a donné dans le psychologisme, c’est-à-dire, qui a mis sur le trône la Psyché, est condamnée à la décadence. La décadence par l’avachissement, par la féminisation, par la mort de la conscience immédiate survenue dans la recherche des causes de la conscience (ou de l’inconscience). Je crois que nos sociétés en sont là.
Si le psychologisme est une telle erreur, c’est pour une autre raison, structurelle, qu’on peut analyser “depuis l’extérieur”. En effet, le psychologisme rabat de la psychologie sur de la psychologie. Il est pure tautologie. Il trouve ses causes en lui-même, et dans des faits qui ne sont jamais que de son ressort. À la limite, il ne permet la compréhension que de lui-même, et quand, si souvent, la psychologie ne comprend rien, c’est qu’elle est psychologisante. La psychologie devrait être une toute petite discipline, très humble, et très prudente quant à son étendue et à ses avancées conceptuelles. Il n’en est rien, et ce n’est peut-être pas un hasard si cette discipline, théorisée pour être lucrative — puisque, comme l’explique Freud, on doit sentir les billets de banque se faire la malle —, est exercée par de vieux Juifs athées barbus, confits d’autosatisfaction et d’arrogance vaine. Tout le contraire de ce que devrait être un réel et fin psychologue, c’est-à-dire d’abord et avant tout un historien, un soldat, un religieux, un lettré, un homme vivant, un corps. De tels hommes existent depuis l’aube des temps et ont toujours porté le nom de moralistes. Ainsi, il y a assurément plus à apprendre, du point de vue psychologique lui-même, dans les œuvres de Fénelon que dans la fréquentation du cabinet de tel charlatan germanopratin.
Le psychologisme, s’il est comme une drogue abrutissante pour les sociétés qui se vouent entièrement à lui (car on y est totalement soumis ou on ne l’est pas), et aussi, quant aux individus qui s’en font les ardents promoteurs, le fait de “drogués”. Drogués qui désirent une manière de nirvana plat et mort, sans corps, sans violence et, comme l’a très justement remarqué Philippe Muray, sans négativité. Et si nos sociétés sont tellement victimes de psychologisme, c’est que, depuis un siècle désormais — tout particulièrement depuis 1945, définitivement depuis 1968 et irrémédiablement depuis 1989 —, la littérature, la politique et, plus généralement, la parole publique ne sont plus l’apanage que d’êtres aux corps malingres, aux vies incroyablement peu violentes et dont les liens avec le réel sont de plus en plus ténus. Ainsi, la massification du divorce peut se comprendre comme une très belle réalisation de cet horrible monde psychologique dans lequel nous sommes contraints de vivre, contraints au plus grand bénéfice de nos maîtres, car ce monde-là peut s’avérer très rentable pour qui sait se hisser ou se conserver aux postes de commandes.
Le divorce : structurel et culturel.
Pourquoi le divorce est lié très en profondeur au psychologisme tel que je viens de le définir, je le dirai dans un instant. Il me faut d’abord parler du divorce lui-même, entendu comme réalité statistique, c’est-à-dire comme phénomène touchant chaque année une part non-négligeable des couples — à tel point qu’on en vient à se demander si, dorénavant, ce ne seraient pas plutôt les couples qui ne divorcent pas, qui sont devenus une part non-négligeable...
Si le divorce s’est tant généralisé sous nos latitudes dans les dernières décennies du XXème siècle, cela a deux sources, l’une que j’appelle structurelle car elle est liée aux structures de la société, l’autre culturelle, car elle vient de ce que la culture de masse, dans notre société, avance, propose, affirme, assène, impose. Les structures de la société, c’est, dans notre monde bourgeois et libéral, d’abord et avant tout le Droit. Ainsi, en France, le divorce par consentement mutuel a été instauré par une loi du 11 juillet 1975, M. Valéry Giscard d’Estaing étant président de la République. Par parenthèse, voilà un homme dont, lorsqu’il sera mort, il faudra aller cracher sur la tombe. C’est probablement le plus grand traître à la France en temps de paix que notre pays ait connu depuis la fin de la guerre. Entre le funeste regroupement familial, la majorité civile à dix-huit ans, les lois détruisant la possibilité pour l’État de mener une action financière et économique, Giscard a plus fait pour la destruction de notre société que tous les socialistes réunis. Derrière cette loi scélérate, le doyen Carbonnier et, pour vendre la soupe aux catholiques, qui existaient encore un peu alors, le falot Lecanuet, le Bruno Le Maire de l’époque. Contrairement à ce que cet imbécile prétendit, à savoir que le nombre de divorces n’augmenterait pas avec cette loi, ce nombre a évidemment augmenté. Il ne saurait en être autrement puisque toute politique, en ce qui concerne les populations, est une affaire d’incitations, et que la loi ne doit être comprise que comme deux choses. Du point de vue analytique, l’expression du rapport des forces en présence ; du point de vue “programmatique”, positif, comme le moyen d’organiser l’incitation (ou la non-incitation) des citoyens à commettre (ou ne pas commettre) telle ou telle action (ou tel ou tel délit). Ainsi, si le pouvoir autorise le divorce, il y incite. C’est nécessaire et cela ne saurait être autrement — surtout dans une époque de vastes ébranlements culturels.
Le divorce procède donc du Droit, c’est la dimension structurelle de ce problème ; il procède également de la culture de masse. Dans un premier temps, x couples divorcent. La culture de masse s’empare du sujet au prétexte que rien de ce qui existe ne lui est étranger : c’est toute sa force. Ainsi, suprême comble et paradoxe, le film Into The Wild, face auquel on a tendance à se dire que si même ça peut être récupéré, médiatisé, encadré et vendu, il vaut encore mieux demeurer un médiocre petit-bourgeois pavillonnaire. De la même façon, la culture de masse peut parler énormément d’homosexualité, alors que cette déviance n’est censée concerner, au maximum, que 10 % de la population — mais il faut ajouter que ces pratiques contre-nature s’observent spécifiquement au sein de l’élite culturelle et intellectuelle, donc cinématographique... Ainsi, on fait exister culturellement le divorce, ce qui, en retour, le fait exister… Culturellement ! Il faut comprendre que tout le processus décrit dans cette phrase repose sur l’amphibologie du mot répété, qui signifie à la fois production culturelle de masse et schéma généraux de pensée répandus dans le gros des populations et conditionnant l’approche particulière de tel ou tel problème par les membres d’icelles. De x couples divorçant chaque année, on passe à x², puis x³ et ainsi de suite… Le second temps du divorce de masse commence donc dans les années 80, augmente dans les années 90 et explose dans les années 2000. Cela se vérifie par exemple, quant à l’ambiance culturelle vis-à-vis de cette question, par l’existence de toutes ces petites séries télévisées particulièrement affligeantes, souvent diffusées par le service public, et mettant en scène des familles modernes, c’est-à-dire, des familles recomposées.
Il faut s’arrêter un instant sur ce que représente la famille recomposée par rapport au divorce de masse. Elle en est le parangon ; c’est l’idéal dans le pire et c’est également la locomotive séduisante du train lancé à pleine vitesse sans pilote qu’est la propagande antifamiliale en Occident. Si je dis que la famille recomposée — néo-syntagme du monde d’après que je refuse d’écrire autrement qu’avec de distantes italiques — est séduisante, c’est qu’elle l’est. Entre une famille unie, avec trois enfants, et une famille recomposée, avec les mêmes enfants d’un premier lit à quoi s’ajoutent les enfants de la belle-mère avec qui s’est remarié le père et ceux du beau-père avec qui s’est remariée la mère — situation “complète” —, du point de vue du confort immédiat de l’enfant, cela peut être très plaisant. Ils “gagnent” des frères et sœurs qui peuvent être pour eux comme des cousins ; ils "gagnent" aussi l’accès à des lieux puisqu’il y a désormais chez papa ET chez maman, et potentiellement les parents des beaux-parents… Si tout le monde est encore vivant et s’entend bien, un enfant de ce couple divorcé peut se retrouver avec… huit “grands-parents”, autant de maisons de vacances, de villes qu’il peut connaître, où il peut passer l’été… Bien sûr, c’est agréable, plus agréable à bien des égards que d’être l’enfant de parents unis, mais dont les parents seraient morts et qui n’auraient pas de frères et sœurs : pas de grands-parents, pas d’oncles et tantes : un environnement familial assurément plus sain mais aussi bien plus limité. Ce qu’on peut nommer la propagande de la famille recomposée repose beaucoup sur cette séduction matérielle de ces situations inédites. Elle repose aussi sur le charme baroque et vaguement aristocratique que peuvent avoir de vastes familles, qui semblent reposer alors sur des sortes d’alliances — entre les parents qui restent en de bons termes, avec les beaux-parents, leurs familles… Mais, précisément, ce n’est que de la propagande. Ou plutôt non : ça existe. J’ai d’excellents amis qui se trouvent dans ces situations. Mais ce sont des jeunes gens de la bourgeoisie, et c’est là qu’on touche à un aspect crucial et toujours tu de cette question.
Des bourgeois peuvent se permettre de divorcer. Un beau-père aisé — je me place du point de vue de l’enfant — qui épouserait une mère divorcée qui ne travaillerait pas peut, sans y penser vraiment, assumer la charge d’enfants qui ne sont pas les siens. Un homme moins riche peut bien moins facilement se le permettre. L’argent autorise la générosité, et quand il manque, il l’interdit. De la même façon que, dans le monde bourgeois d’avant-guerre, un homme trompé par sa femme aurait pu être agacé d’avoir à élever un bâtard qui n’est pas de son lit, un homme qui en plus n’en a pas forcément les moyens et n’y est en rien obligé, n’a pas à élever les enfants d’un autre. Lui veut épouser une femme, pas une mère. Or il se trouve que les femmes et les mères sont forcément un peu les mêmes personnes... — et beaucoup, dans ce monde du divorce de masse. Ainsi me souvient-il le cas d’un bon ami dont les parents ont divorcé. Il est fils unique, et sa mère l’élevait, son père étant parti vivre à l’étranger. Selon que cette femme désirait séduire un homme ou, l’ayant déjà rencontré, au contraire s’en débarrasser, elle le voyait sans mon ami, ou avec lui — ce qui était un plaisant sujet d’amusement pour nous. Dans son cas se trouvent d’ailleurs mêlés les problèmes et la séduction de l’ère du divorce de masse. Problème pour sa mère lorsqu’il s’agit de trouver un nouveau conjoint — car il arrive également à ces Messieurs d’être un peu refroidis par l’apparition soudaine d’un rejeton ; séduction de sa situation à lui puisque lui étaient garanties d’agréables et exotiques vacances annuelles au Maroc, où réside désormais son père... Quoi qu’il en soit, il faut bien comprendre que la famille recomposée n’est que le fantasme et la face présentable du divorce de masse. Sa réalité est plus triste, et moins aventureuse, pour un nombre de personnes que je crois largement plus important : solitude, difficultés matérielles et destruction définitive de la famille.
En somme, le divorce est une passion de riche, et les couples aisés peuvent se permettre de divorcer. Si pourtant tant de gens divorcent en France — plus de cent-trente mille en 2012... —, est-ce que les Français sont tous riches ou est-ce bien plutôt que le divorce de masse est une pathologie sociale ? Les pauvres ne divorcent pas. C’est un axiome moral. Néanmoins, des pauvres divorcent. À en croire les chiffres, beaucoup. Admettons que la proportion de “riches” et de “pauvres” parmi les couples divorcés ne soit pas la même que celle des “riches” et des “pauvres” à l’échelle du pays. C’est probable. Il doit pourtant bien se trouver un certain pourcentage de “pauvres” parmi ces couples divorcés, mettons la moitié. C’est plausible. Car je ne pense pas qu’il y ait, par exemple, 80 % de “riches” qui divorcent chaque année. Quoi qu’il en soit, ces “pauvres” qui divorcent existent et on peut, je le crois, les traiter de fous. Ce sont des fous. Il est fou de divorcer quand on est pauvre. Et j’ajoute que je vois dans l’augmentation des divorces de pauvres une des causes de certains aspects de la prolétarisation des couches moyennes inférieures.
Un autre aspect du problème, et puis je m’en tiendrai là car je n’ai aucune envie que ce texte devienne par la force des choses un essai statistique ou sociologique — horreur ! — : c’est l’analyse intellectuelle d’un problème social. Il se trouve que de nos jours bien des couples ne se marient pas, et font des enfants en dehors du mariage. S’ils ne sont pas mariés, ils ne peuvent pas divorcer. Ils se séparent, comme on dit pudiquement même quand il s’agit d’un infâme divorce. Et tout cela ne peut être répertorié et enregistré par la statistique, et donc quantifié. Ne pourrait-on pas pousser le raisonnement jusqu’à dire que les couples non-mariés se séparent encore plus que ceux qui le sont, et que cela viendrait précisément du fait qu’ils ont intégré le divorce de masse comme donnée constitutive de l’éphémère existence d’un couple à notre époque ? J’entends : puisque les mariages ratent en général et que les gens divorcent, pourquoi se marier ? Pourquoi enfermer dans une gangue administrative — car elle n’est déjà plus religieuse — un couple qui aura de fortes chances de se désintégrer avant longtemps et qui, s’il était marié, devrait s’imposer des lourdeurs administratives et des complications pécuniaires pour régler un problème qui peut l’être en se contentant de vendre la maison ? Cette vision des choses suppose l’existence d’une sorte d’inconscient collectif répandu dans des pans entiers de la population qui savent que, dans un monde où les parents doivent tous deux travailler, dans une société qui s’appauvrit, pour le dire vite : dans ce monde de merde où il n’est plus possible de fonder une famille et d’élever un enfant, il vaut encore mieux ne pas se compliquer davantage la vie et faciliter la désagrégation d’une structure, la famille, qui doit de toute façon faire face à bien trop d’obstacles pour pouvoir subsister durablement. Je ne sais pas ce qu’il en est... C’est une intuition. Elle est peut-être juste.
J’ajoute que si le divorce est “un truc de riches”, bien des bourgeois ne sont pas assez fous pour céder aux sirènes de cette propagande... bourgeoise et libérale. En effet, la propagande en faveur du divorce est bourgeoise. Le divorce a été instauré par la République bourgeoise, celle de M. Giscard, les films qui racontent tant d’histoires si touchantes de familles recomposées sont faits par des réalisateurs, des producteurs et des acteurs — donc des bourgeois. Les avocats qui vivent de cette manne financière que représente le divorce sont des bourgeois. Les juges qui prononcent ces divorces sont des bourgeois. Tous ces gens-là ne croient pas en Dieu, et certainement pas dans l’idée que le mariage est le lien indissoluble scellé à l’église par un serviteur de Dieu entre un homme et une femme dans le but de fonder une famille, et marqué du sceau divin de la vie : un enfant. Pour ces gens, le mariage est un contrat parmi d’autres, signé par deux parties et qui peut être défait si les deux parties le veulent. Consentement mutuel. Dans tout cela, l’avis de Dieu, ou le bien des enfants... D’ailleurs, le divorce n’est pas la fin des couples. Il est la fin du mariage et des familles. Au contraire, nous vivons à l’ère des couples. Il n’y a que des couples ; seuls les couples comptent — couples qui peuvent d’ailleurs devenir des couples contre-nature d’invertis ou de gouines, pourquoi pas des couples à trois, comme on en voit déjà dans les pays anglo-saxons qui nous précèdent toujours de quelques marches sur l’escalier infernal de la perversion, ou même, demain, qui sait, des couples entre un homme et un chien, une femme et une table de chevet... La propagande pro-divorce est par ailleurs parfaitement libérale — ce qu’elle est forcément si elle est bourgeoise —, et le divorce correspond totalement à cet idéal de liberté individuelle illimitée très peu catholique... Mais beaucoup de bourgeois ne sont pas totalement fous pour divorcer. Ce pourrait être leur ruine. Comme dans Bel-Ami, où Georges Duroy serait fou de divorcer de Madeleine Forestier, qui lui écrit ses articles, même s’il ne la supporte plus. Derrière plus d’un bourgeois qui a réussi se cache une femme qui a fait sa réussite, et épanoui ses ambitions à l’ombre de son mari. Évidemment, dans le monde du divorce qui est aussi, et nécessairement celui de la “liberté de la femme”, les femmes ambitieuses n’ont plus forcément besoin d’un mari pour réussir... Mais le divorce peut encore, de nos jours, impliquer la déroute financière, et la disgrâce sociale — cette dernière de moins en moins, il est vrai. Enfin, il faut bien comprendre que ce qui est le plus libéral, chez le bourgeois retors et bien ancré dans son statut social, ses réseaux, et ses réflexes de pensée, c’est encore le discours. De la même manière que ce qui fait la mondialisation, c’est d’abord et avant tout le discours de la mondialisation, sorte de successeur du Discours de la Méthode continuellement asséné aux masses abruties pour le meilleur profil de nos maîtres, ce qui fait le libéralisme — au sens le plus large du terme, et pas au sens strictement économique —, c’est le discours libéral, auquel plus d’un libéral n’est pas assez fou ou bête pour croire… ou, s’il y croit, pas assez fou pour en appliquer les préceptes dans sa propre vie.
En bref, le bourgeois contemporain n’a rien contre le divorce — chacun n’est-ce pas fait bien ce qu’il veut —, il est tolérant, mais lui ne divorce pas. D’ailleurs je pense que le divorce bourgeois n’a pas le même sens que le divorce populaire. Ce dernier est presque nerveux : on ne se supporte plus, ça crie tout le temps ; on divorce. Le divorce bourgeois est plus subtil, parce que ce à quoi il met fin est moins sincère, plus calculé. Le divorce bourgeois, c’est une rupture d’alliance, la fin de l’alliance entre un bourgeois et une bourgeois qui se sont alliés... pour rester bourgeois. Dans le divorce populaire entre énormément de bêtise. On se lie tout de même sincèrement, parce qu’on s’aime et pour faire des enfants, et on divorce parce que c’est possible — là où à d’autres époques, précisément, on aurait continué à se supporter, quitte à en venir à des situations un peu extrêmes comme celle du Chat, le film d’après Simenon avec Jean Gabin et Simone Signoret. Un bourgeois divorce d’une bourgeoise surtout quand elle a vieilli, et que le grand avantage qu’elle présentait quand ils se sont mariés : sa beauté — car les jeunes bourgeoises sont belles, on le vérifie aisément en arpentant les VIème ou XVIème arrondissements de Paris, ou les rues de Neuilly-sur-Seine —, a disparu. Un bourgeois divorce pour trouver une femme plus jeune. Son portefeuille le lui permet. Et s’il ne divorce pas, c’est qu’il ne cède pas aux applications à la vie affective et familiale de la rationalité économique, et du calcul rationnel. Il s’en tient à un calcul rationnel d’intérêt supérieur : garder sa femme qu’il ne supporte plus mais qui peut lui être bien utile. Le populaire, lui, dans sa bêtise, sa naïveté, et sa méconnaissance des mécanismes qui le meuvent, en vient à appliquer la rationalité économique à sa vie de famille : nous ne nous supportons plus donc divorçons. C’est une infamie — et une connerie, puisque dans une société où les juges sont désormais majoritairement des femmes, il ne lui restera plus qu’à payer une jolie pension alimentaire. Très fin calcul économique en vérité ! Mais ce sont là des nuances qui, pour l’intérêt qu’elles présentent, n’intéressent pas directement le cœur de notre sujet auquel j’en viens maintenant.
L’anthropologie et le reste.
Ces quelques paragraphes étaient indispensables, je crois, pour bien poser le problème. Comme je l’ai dit, le psychologisme, en ce qu’il accentue l’oubli du corps, latent dans la psychologie pure, est aussi un oubli de la violence, et dans sa version propagandiste — car le psychologisme est non seulement une propagande, mais encore un discours, des lieux communs, des dispositions d’esprit, des croyances, des certitudes, beaucoup d’illusions… —, une négation pure de la violence, de sa réalité comme de sa nécessité. Plus généralement, le psychologisme, surtout lorsqu’il se déploie de façon effrénée sans ne plus guère croiser — au moins dans le discours — d’obstacles, comme c’est le cas chez nous ces temps-ci, dégénère en négation pure et simple des fondements anthropologiques des sociétés. Ces fondements anthropologiques sont niés, et on substitue aux questions qui leur sont relatives de faux problèmes dont la discussion est vaine, ou dangereuse. Ainsi, quant au mariage, on ne parle plus de l’union des hommes et des femmes mais de l’égalité — et ça donne le “mariage pour tous”. Quant au divorce, et cette seule idée suffit à résumer mon propos, on remplace le souci de l’existence de familles pour garantir la continuité des générations et l’éducation des enfants par l’idée fumeuse de l’harmonie domestique ou par celle d’équilibre. Grandir dans une famille équilibrée... Voilà un beau et vicieux pléonasme. L’équilibre et l’harmonie, pour un enfant, c’est la famille. Et, dans un monde où on a détruit la famille, on revient parler d’équilibre... Pour ce qui touche précisément aux relations entre les parents, on préfère suggérer le divorce et détruire ce socle anthropologique fondamental que sont les parents plutôt que de comprendre qu’il vaut mieux que des parents se disputent, ou même se détestent, que de priver un enfant d’eux. En effet, lorsque des parents divorcent et que les enfants sont confiés par la justice à l’un ou à l’autre, on ne les prive pas d’un de ses parents : on les prive de ses parents tout court. Un parent, ça n’a en effet aucun sens. Un parent seul, un père, ou une mère seule, ce n’est plus un parent : ce n’est plus qu’un géniteur, n’entretenant avec son enfant que des liens animaux, et pas des liens humains, sociaux — bien qu’il entretienne toujours des liens affectifs, du moins peut-on l’espérer ! Les parents ne se conçoivent que par deux, dans l’opposition et la complémentarité de leurs sexes. Ils ne peuvent exister en tant que tels, et “remplir leur mission”, comme on dit vulgairement, que s’ils se trouvent tous deux aux côtés de leur enfant. C’est là l’une des vérités anthropologiques les plus importantes, et les plus profondément ancrées dans notre civilisation, qui soit. Les parents, d’ailleurs, ne doivent pas être deux parce qu’il s’agit d’être à deux.
Un enfant se structure par rapport à son père et par rapport à sa mère, par rapport à un homme qui lui a donné la vie et par rapport à une femme qui l’a enfanté. Dans le temps, la complémentarité du père et de la mère se déploie de façon diachronique. Je m’en tiendrai au cas des garçons, qui est ce que je connais le mieux. Pour un garçon, donc, on peut arrêter que la présence et l’affection de la mère sont primordiales pendant les premières années de la vie, mettons jusqu’à l’âge de raison — âge qui ne saurait être féminin... Ensuite doit intervenir assez vite le père, dont le rôle est de former son petit à la vie en société — ce n’est pas un hasard si l’on parle de patrimoine ou si, dans un monde normal, les enfants portent le nom de leur père : le père, c’est la société dans la famille. Un père apprend à son fils ce que sont les femmes. En effet, un enfant ne peut savoir ce que sont les femmes. Sa mère n’est pas une femme : elle est sa mère. C’est la raison pour laquelle je crois que dans un monde sain, une mère ne doit jamais crier sur son enfant : elle doit toujours confer la punition au père, qui doit seul représenter la violence dans la famille, la mère devant, idéalement, être seule représentante de la douceur. De toute manière, les femmes sont laides, quand elles s’énervent…
Un jeune garçon ne peut donc connaître les passions féminines : il doit ignorer celles de sa mère, et, s’il en a, celles de ses sœurs, dont l’intimité doit lui rester strictement inconnue : on n’élève pas un homme au gynécée. Un père apprend à son fils ce que sont les hommes. Il lui en explique les vices, les faiblesses, et les réflexes. Un père apprend donc à son fils à se battre. Le père doit représenter la violence. Il est la part de violence dans l’esprit d’un enfant correctement structuré. Enfin, un père apprend à son fils ce qu’il sait, de l’histoire à, plus prosaïquement, le bricolage, le port du costume, la façon de boire du whisky, ou de fumer le cigare... On peut parfaitement envisager qu’un père fasse, au moment de l’adolescence de celui-ci, des voyages seul avec son fils. Des voyages avec la seule mère sont parfaitement à proscrire. Une mère doit aimer son fils ; un père, le préparer au monde. C’est ainsi qu’est la nature, c’est ainsi qu’elle doit être.
Le divorce empêche tout cela, pour un simple motif psychologisant : il ne faudrait pas que des parents se détestent ; il ne faudrait pas que leur détestation perdure ; il ne faudrait pas que des enfants grandissent dans le climat qu’elle serait censée susciter. Je démontre qu’il n’y a là que des fausses questions, relatives à ce qu’on peut nommer le vernis, et qui s’oppose au lourd —à l’anthropologique lourd.
Premièrement, si deux parents se détestent — deux parents comme on ne devrait pas dire, puisque les parents sont nécessairement deux —, et que ces détestations entre parents se généralisent au point que le divorce s’est lui-même tant généralisé, c’est peut-être que les hommes et les femmes, dans notre monde, sont devenus détestables. Les hommes des larves amollies et les femmes des pimbêches irritantes. L’Homme est mort, et la Femme aussi. Et chacun, individuellement, et peut-être sans se rendre compte de sa propre médiocrité, finit par trouver que ce qu’on lui a servi en guise d’homme ou de femme ne correspond peut-être pas vraiment à ce qu’on pourrait espérer…
Admettons que cette détestation ne soit pas liée à cette décadence générale et qu’elle ait des causes purement psychologiques — on voit en passant que la pure psychologie est parfaitement inapte à saisir des causes qui ne lui soient pas liées, et que je crois fondamentales sans m’y étendre plus longuement car elles appellent des développements pharamineux que l’esquisse que je viens de proposer omet tout en permettant de saisir le fond de ma pensée. Dans notre monde ignoble, la détestation prend des formes d’hystérie. Disons que dans un monde normal, cette détestation peut être canalisée par les vertus civilisatrices — qui ne sont pas celle de la froideur bourgeoise, insidieuses et destructrice. On peut se disputer calmement, comme on peut se disputer à grands cris. Et le cri, quand il n’est pas poussé à la guerre, est typiquement féminin. Que la détestation amène au divorce, c’est particulier à notre époque, où le divorce est possible, mais aussi où rien, moralement, ne l’empêche. Défaire une famille est un acte d’hybris. La sacralité de la famille, dans la France catholique, a fait que des parents qui se détestaient peut-être sévèrement ont élevé leurs enfants ensemble. Et je le dis : c’est un immense bien pour ces enfants. Dans un monde où la famille n’est plus sacrée — ni plus rien d’ailleurs —, la détestation entre parents engendre forcément le divorce. Un esprit limité dirait que c’est là une vision illogique, et que le spectacle de la détestation de ses parents ne peut que perturber un enfant, et lui causer un grand tort. Je dis, d’une part : un grand tort psychologique, peut-être ; et j’ajoute : admettons… C’est tout de même concevoir l’homme comme un être bien fragile… Comme si on ne pouvait pas se remettre des dissensions entre ses parents quand on était enfant ! Comme s’il n’y avait pas plus à réparer chez un enfant qui n’a été élevé que par sa mère, ou que par son père… ! D’autre part, et c’est là l’essentiel, je dis que dans un monde normal, que les parents se détestent, un enfant n’en sait rien ! Le spectacle de cette détestation n’existe même pas, pour un enfant ! On dit que les enfants voient tout ; certes, ils voient beaucoup de choses. Mais ils ne voient pas ce qui se passe quand ils sont couchés ! Et des parents sains ne sauraient se disputer que quand leurs enfants sont au lit, pour dire les choses un peu trivialement. De façon plus théorique, les parents n’existent pour les enfants qu’en tant que parents : ils n’existent pas comme gestionnaires d’un foyer (et les disputes relatives à l’intendance ne sauraient exister pour eux), ils n’existent pas comme couple (et les disputes de couples ne sauraient exister pour eux — d’ailleurs, un couple n’a pas d’enfants : des parents en ont ; il n’y a que dans l’ère des couples que les problèmes de couples viennent phagocyter la vie de famille), ils n’existent pas non plus comme éducateurs, je veux dire : comme éducateurs réfléchissant à leur rôle d’éducateur (et les disputes sur la bonne façon d’éduquer les enfants ne sauraient se dérouler — surtout pas ! — devant des enfants…).
Voilà qui laisse tout de même assez peu de sujets de disputes… Fondamentalement, les parents qui se disputent devant leurs enfants sont déjà défaillants dans leur rôle. Ils sont déjà les produits d’un monde relativiste, où grandes personnes et petits d’homme pourraient parler à égalité. Ce monde-là n’existe pas, et ne devrait pas exister.
Quoi qu’il en soit, tout cela est du vernis, de la même façon qu’est vernie la vulgarité de telle jeune fille trop maquillée et qui écoute les stations de radio périphériques tout en croyant sincèrement que le Christ est le messie. C’est désolant et vaguement affligeant, mais cela ne peut retenir l’attention que d’un esprit limité. Le sérieux, c’est de comprendre que, quelle que soit son importance extérieure, le vernis ne représente jamais que 10% d’un problème ; et ce sont les 90 % des causes lourdes et surdéterminantes qu’il faut saisir. L’anthropologique lourd, ce sont les parents, leurs disputes ne sont que des peccadilles. S’ils se laissent aller à elles jusqu’à divorcer, ce sont des fous, et ils les transforment en une faute infiniment grave, dommageable, et dégoûtante. Je le répète de toute manière : ce sont là de fausses questions. Dans un monde normal, l’harmonie, c’est la famille. Il n’y a que sous le règne d’un psychologisme débilitant qu’on peut en venir à croire qu’il faut épargner des disputes qui peuvent parfaitement être évitées à des enfants, plutôt que de tout faire pour leur garantir de grandir auprès de leurs parents. Du reste, séparer les familles n’est-il pas le propre des dictatures ?
Conséquences et corollaires.
Les conséquences d’un divorce sont nombreuses. Terribles pour un enfant. Je ne les détaille pas. Celles du divorce de masse le sont encore plus. Terrifiantes pour une société. Que peut devenir une génération de garçons élevés par leur seule mère... ? Mais les problèmes relatifs au manque d’autorité du père et, plus généralement, à la mort de la figure du Père, ne sont pas directement imputables au divorce de masse. Ils sont, en revanche, souvent liés au psychologisme. Le père représente le Corps, comme principe de fermeté et de volonté ; la mère représente l’Amour, comme principe de mollesse et de volupté. Si le psychologisme a engendré le divorce de masse, c’est que, d’abord, la féminisation de l’Occident a engendré sa psychologisation à outrance, corollaire de ce que j’appelle ça sur-intellectualisation. Pour le dire d’une formule lapidaire, les jeunes gens de ma génération sont nés dans un monde qui avait définitivement arrêté de faire la guerre, pour consacrer ses forces et son intelligence à se demander s’il était juste de faire la guerre. Je m’en tiendrai en ce qui concerne cette question du divorce de masse comme conséquence du psychologisme à cette sentence qui n’est énigmatique que pour les aveugles — les moins pires d’entre eux se trouvant cerveau ouvert, yeux fermés…
JML
Veneux-Les Sablons, le mercredi 30 juillet 2014.