
C&R : Comment vous est venue l’idée d’écrire un livre pareil ? Est-ce l’effet d’une déconvenue sentimentale ?
Modeste Schwartz : Si on pouvait appeler « déconvenue sentimentale » la déception que m’inspirent plusieurs générations d’européennes (dont beaucoup qui étaient déjà enterrées au moment de ma naissance), alors oui, le terme serait acceptable. Quoique, même alors, pas totalement, dans la mesure où je ne prends pas les femmes particulièrement responsables de l’impasse civilisationnelle dans laquelle nous nous sommes engagés. Rousseau, Kant, Hegel, jusqu’à plus ample informé n’étaient pas des femmes. Et pourtant, ils ont contribué – plus qu’aucune Beauvoir ou Schiappa de l’univers – à faire de l’Occident un monde où l’émergence du féminisme était à la fois historiquement inévitable, et moralement justifié. S’il fallait résumer le livre en une phrase, ce serait : « Non, mai 68 ne commence pas en 1968 ».
C&R : Vous avez la dent assez dure contre « l’islamophobie ». Êtes-vous islamophile ?
Modeste Schwartz : Pas particulièrement. Comme ce n’est pas le sujet du livre, je n’y prends nulle part position sur la question migratoire, mais votre question m’en donne maintenant l’occasion : je ne suis pas favorable au « melting pot », à la « mobilité des personnes » etc... Et ce, pour des raisons qui n’ont rien à voir avec ma perception de telle ou telle religion révélée ou autre : si j’étais né musulman au Moyen-Orient, je serais tout aussi opposé à l’importation massive dans ma société de scandinaves luthériens ou de subsahariens animistes. Ce que, en revanche, je trouve hautement dommageable dans l’univers mental de ceux qui, en Occident, partagent avec moi ce refus de l’immigration de masse, c’est que très souvent, leur juste réflexe de défense de leur autochtonie ne parvient à s’exprimer que sous la forme d’un discours alarmiste sur le « péril musulman ». D’une part, c’est objectivement faux : comme le fait remarquer Gilles Kepel (je cite volontairement un auteur assez peu suspect « d’islamo-gauchisme »), on surmédiatise les conversions d’européens, mais pour un européen converti, combien d’immigrés désislamisés de facto ? Mais aussi et surtout, une telle formulation du combat identitaire (étant donné qu’elle n’est généralement, en plus, pas le fait de chrétiens militants) revient à définir paradigmatiquement notre identité par ce qu’on appelle – par euphémisme – la « laïcité », c’est-à-dire par le féminisme et ses divers produits dérivés. Mon livre se fixe entre autres pour mission, en effet, de démontrer que, ce faisant, les adeptes de ce discours islamophobe enterrent plus efficacement l’Europe non-musulmane qu’aucun réseau salafiste ne pourrait jamais rêver de le faire. Car ils créent de facto une vision du monde dans laquelle ceux qui veulent vivre (s’inscrire dans une pérennité communautaire) devront se tourner vers l’Islam. Que je respecte, mais dont je ne suis, pour autant, pas un prosélyte.
Modeste Schwartz