Alors que la France vient tout juste d’avoir un Premier ministre en la personne de Michel Barnier, ancien commissaire européen, Nexus propose à ses lecteurs une analyse des causes profondes de la dissolution-choc de l’Assemblée nationale prononcée par Emmanuel Macron en juin dernier. Parmi les vraies raisons, développées dans notre article « Les dessous de la dissolution » du numéro 154 de Nexus (septembre-octobre 2024), le besoin pour le président de la République d’éviter une motion de censure et une dissolution du gouvernement et du Parlement en plein vote d’un budget (celui-ci sera présenté devant les députés le 1er octobre prochain) qui, au vu de la situation économique de la France, du poids de la dette et de l’agenda de Bruxelles et des instances financières (BlackRock au premier chef), pourrait comporter des mesures coercitives et impopulaires (rigueur budgétaire, mobilisation de l’épargne des Français…).
Par ailleurs, de nouveaux traités européens sont dans les cartons. Ces derniers proposent de transférer des compétences à l’Union européenne, qui bénéficierait alors de la compétence exclusive en matière de politique écologique, ou d’une souveraineté partagée en matière de sécurité. Enfin, ces nouveaux traités, qui doivent encore être entérinés par les différents États membres, prévoient l’instauration de parlements régionaux ainsi qu’une gouvernance et des budgets de Bruxelles directement dirigés vers ces grandes régions, passant ainsi outre l’échelon national.
Afin que cela soit rendu possible en droit français, il faudra changer de constitution, texte fondamental qui délimite les compétences de l’État, et adopter donc une VIe République… Un changement de République pourrait être encouragé par la composition de cette nouvelle Assemblée, dont les équilibres autour de trois grands pôles sclérosent la Ve République qui a besoin d’une majorité absolue pour fonctionner.
Sur ces sujets, l’historien Pierre Hillard a gracieusement accepté une interview exclusive pour Nexus. Spécialisé dans l’étude du mondialisme, il est l’un des seuls en France à avoir aussi précisément découvert et analysé les documents historiques attestant la mise en œuvre pluriséculaire d’une gouvernance mondiale. De confession chrétienne, c’est sous le prisme de ses connaissances rares et de sa foi qu’il analyse pour Nexus les raisons profondes de la dissolution prononcée par Emmanuel Macron le 9 juin dernier.
NEXUS : À l’issue du résultat du second tour du scrutin, quelle a été votre première impression ?
PIERRE HILLARD : Nous avons trois blocs qui ne peuvent pas s’entendre, avec un bémol pour le Nouveau Front populaire (NFP) dont certains en arrière-boutique seraient tentés par une alliance avec Ensemble ! Mais le constat évident est qu’aucun de ces trois blocs ne peut constituer de majorité. Le seul moyen de débloquer la machine serait une démission de M. Macron…
NEXUS : En quoi les forces en présence servent-elles, selon vous, le projet républicain ?
PH : Du Rassemblement national (RN) au NFP en passant par le parti présidentiel, ce sont toutes des factions oligarchiques qui se tirent dans les pattes. Ces blocs sont tous acquis à l’Union européenne (UE), à l’Otan, aux mesures sociétales (avortement, mariage pour tous, euthanasie…), y compris le RN. Il y a donc une unité de vue, avec pour seule différence le fait que le RN est aujourd’hui pro-sioniste alors que LFI est pro-musulman. Le vote communautaire est d’ailleurs aujourd’hui très fort, avec un exemple flagrant à Roubaix où Karima Chaoui (NFP) a été élue avec 72,5 % des voix dans cette ville où la population issue de l’immigration est majoritaire. La France héritière du baptême de Clovis est donc prise en étau entre ces deux blocs contraires aux caractéristiques de la civilisation française, Ensemble ! étant carrément anti-France.
NEXUS : Et quel rôle joue Emmanuel Macron dans ce projet ?
PH : Sa mission est de dissoudre la France dans un magma européen dont la finalité est un super-État fédéraliste tel que décrit par Anarchasis Cloots (révolutionnaire français et théoricien de « la République universelle »). La finalité de la construction européenne, dont Maastricht n’est qu’une étape, est une structure fédérale selon un modèle allemand. D’ailleurs, un projet de modification important des traités européens, tendant davantage vers une forme de gouvernement européen a été proposé en novembre 2023 par le député belge Guy Verhofstadt. Cela renforcerait le pouvoir de l’UE avec des compétences exclusives ou partagées de la Commission européenne en matière d’énergie, d’écologie ou de défense extérieure, soumettant d’autant plus les États au pouvoir de Bruxelles et Francfort, et davantage de pouvoir transmis aux régions. Une modification de l’appareil français sera donc nécessaire pour l’adapter au pouvoir européen, et cette modification ne peut être rendue possible qu’en créant les conditions favorables à un changement institutionnel. La situation est aujourd’hui bloquée en France, nourrie de tensions, de blocages et de répercussions économiques. Le problème est donc instauré pour rendre possibles un changement politique majeur ou une prise de pouvoir accrue du Président Macron. Ainsi, l’hypothèse de sa démission est purement théorique, dans la pratique, il ne le fera pas sauf inattendu.
NEXUS : À quelles tensions économiques faites-vous référence ?
La dette publique d’abord, qui dépasse les 3 000 milliards avec des taux d’intérêt à dix ans au plus haut, à 3,2 %. Il y a eu ce printemps une dégradation de la note de la France à AA– par les agences de notation (qui sont au service des marchés financiers), si bien qu’emprunter coûtera plus cher à la France dorénavant. Le tout dans un contexte où la France montre son incapacité à produire des richesses : la production industrielle a encore baissé de 3,2 % entre mai 2023 et mai 2024.
Si le programme du Nouveau Front populaire est appliqué par le gouvernement, la Banque centrale européenne (BCE) devra faire tourner la planche à billets et l’Allemagne refusera. Car si le moteur économique français s’épuise, l’Allemagne, elle, étouffe depuis qu’elle est privée du gaz russe. Elle va finir par s’effondrer sous son poids comme un cachalot échoué sur la plage… L’asphyxie économique des classes populaires et moyennes peut aboutir en des chocs tels que des émeutes ou des attentats. Enfin, le seul os où il reste encore de la viande en France est l’épargne des Français. D’ailleurs, pour ponctionner des comptes en banque, il faudrait des circonstances exceptionnelles justifiant le déclenchement de l’article 16. Cela permettrait de « chypriotiser » les comptes français, comme à Chypre en 2013, où les retraits étaient restreints. Quelqu’un comme Sandrine Rousseau qui demande son utilisation coche toutes les cases des dirigeants politiques déstructurés que nous subissons comme une punition du ciel…
NEXUS : Comment est organisée la structure politique du mondialisme ?
PH : Macron et ses sbires ont pour objectif de mener à bien le programme du forum de Davos. La plupart des grands dirigeants de la planète sont des « global young leaders » (un programme de recrutement du Forum économique mondial, NDLR), c’est le cas d’Emmanuel Macron, de Tony Blair, de Christine Lagarde (présidente de la BCE), Kristalina Georgieva (présidente du FMI), Larry Fink (PDG de BlackRock), ou encore Marc Carney, ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre et membre du Conseil du Forum économique mondial (FEM), aujourd’hui envoyé auprès de l’Onu pour implémenter une stratégie « zéro carbone ». En tant qu’homme de Davos, Emmanuel Macron est un agent du mondialisme au service de l’agenda 2030 du FEM qui consiste à diriger le monde entier autour d’une gouvernance commune. E. Macron doit mettre la France au pas, réinitialiser son économie, retirer toute forme de souveraineté de sorte qu’en 2030, pour reprendre le désormais célèbre slogan du FEM « vous ne posséderez plus rien, mais vous serez heureux ». Cela ne se fera pas sans heurts. E. Macron est là pour créer la situation d’instabilité permettant de mettre en place des mesures coercitives et, au nom de la sécurité, installer les dispositifs demandés par Davos (identité numérique, pass carbone, revenu universel…).
NEXUS : En quoi consiste l’idéologie mondialiste et d’où vient-elle ?
Anarchasis Cloots l’explique très bien dans ses Écrits révolutionnaires (1792-1794) où il développe l’idée de la République universelle, et la République du genre humain. Dans les originaux non caviardés, il y présente le programme. Il y a notamment cette phrase, au lendemain de la Révolution française : « L’an 1 de la République est l’an 1 de la République universelle. » Ce qui va se passer en France est le marchepied permettant la gouvernance mondiale. Le fond est avant tout métaphysique : la République universelle remplacera l’Église catholique, la gouvernance mondiale étant d’essence luciférienne. Elle rejette toute vérité révélée et a une vision matérielle et matérialiste des choses. La vérité est évolutive en fonction des découvertes scientifiques ou des idéologies, elle sacralise la primauté de l’Homme et annule celle de Dieu.
Sous la France chrétienne, le rôle du Roi était de faire en sorte que ses sujets gagnent le ciel, et l’Église devait assurer les conditions matérielles pour créer une société la plus équilibrée possible afin que les habitants aient accès au Royaume de Dieu. La République, elle, assure l’aisance et le confort matériel, c’est une vision terrestre. Elle attise les mauvais penchants de l’homme, le sexe, le fric. Ainsi, on calcule tout sans référence à une autorité supérieure qui délimite le bien du mal. Administrativement, les révolutionnaires technocrates imaginent un monde divisé en mille cases départementales, une France en damier, dissoute dans d’autres blocs, le tout dans une technostructure absolue dont la finalité du projet ne peut se faire que dans le chaos. D’où l’expression ordo ab chao (l’ordre par le chaos). Il faut dissoudre les nations. Anarchasis Cloots l’annonce déjà au XVIIIe siècle : il faut favoriser l’immigration afin d’obtenir une population française déracinée. « Le mot “France” doit disparaître et le mot “étranger” doit nous faire rougir », écrit-il, et « l’Europe, l’Amérique et l’Afrique seront la vaste et heureuse cité de Philadelphie », c’est une notion ésotérique.
NEXUS : En parlant d’ésotérisme, en quoi le rôle de la franc-maçonnerie est-il crucial dans la création de la « République universelle » ?
La franc-maçonnerie est le cerveau de la République, dès avant sa naissance. Il ne faut pas oublier que toutes les grandes mesures sociétales sont élaborées dans les loges (avortement, divorce, mariage pour tous…). Elle n’est pas dévolue à la gauche, la droite y appartient également. Il y a des maçons dans le RN. La franc-maçonnerie touche tous les secteurs, justice, éducation, police, renseignements… Ainsi, quand on voit les différents politiciens, Cohn-Bendit, ou Ciotti ou Wauquiez, ce sont les pièces d’un jeu d’échecs. L’échiquier étant la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Enfin, cette franc-maçonnerie est mondiale. Elle naît en Angleterre en 1717 à Londres, prend ses racines philosophiques dans la Renaissance et le protestantisme, puis épouse la royauté anglaise, et se diffuse ensuite partout en Europe et aux États-Unis dès le XVIIIe siècle.
NEXUS : Revenons à l’actualité pour terminer : quel est le rôle du Rassemblement national dans tout cela aujourd’hui ?
Comme les partis de gauche, le RN est dans les mains du pouvoir. Il est même très utile pour créer l’illusion d’une alternance, d’un effet ping-pong, c’est là l’une des règles d’or : il donne l’apparence d’une fausse opposition pour permettre au NFP de donner des mesures. On n’arrive pas au sommet du pouvoir sans montrer patte blanche. Si le RN était antirépublicain, il serait tout bonnement interdit. Ce sont donc des faux patriotes, puisqu’on ne peut pas être patriote et fidèle à 1789 qui est l’anti-France. Et ce même s’il y a des vrais patriotes au RN. Mais ces gens n’ont pas compris ce qu’était la Révolution. Le drame de notre époque, ce sont les esprits déstructurés, même chez les patriotes.
NEXUS : En quoi est-ce que la Révolution a déstructuré la France ?
On est dans un système orwellien où tous les inverses sont associés : la guerre, c’est la paix ; s’adonner à ses passions, c’est la liberté, etc. La Révolution et la guerre de 1914, où 1,4 million de jeunes sont morts, ont créé une rupture en France et dans son héritage gréco-romain, puis catholique transmis de génération en génération dans la langue, l’architecture, la politique, la communion de pensée et les valeurs morales. C’est ce qui faisait l’âme du pays, et pendant des siècles, on avait des références communes et on surmontait les difficultés ensemble. La Révolution a été une cassure et a fait de nous des êtres humains réduits à leurs pulsions. Mais on n’arrête pas 19 siècles de civilisation comme cela, quelque chose de l’ancienne France reste. Je terminerai en citant les propos du pape saint Pie X : « La France reviendra vers les fonts baptismaux de Reims, mais dans la douleur. »
Voir l'émission en direct du 26 juin 2024 avec Pierre Hillard et Morad El Hattab :