Le blasphème de l’Occident athée I Par Modeste Schwartz

Les statues de l’Antiquité et du Moyen-âge étaient, en général, peintes. C’est la modernité occidentale (d’abord renaissante – en exhumant des statues naturellement délavées, et en décidant de ne pas les repeindre – puis républicaine : donc bourgeoise, à diverses étapes de développement) qui a créé la statuaire minérale ou métallique à laquelle nous sommes aujourd’hui habitués.




Opposée au naturalisme naïf des Anciens et des Chrétiens médiévaux, elle prône un naturalisme conceptuel, dérivant en ligne droite du naturalisme théologique de la scolastique ; elle croit, de plus, à l’individualité créatrice du sculpteur, dont le geste doit rester visible dans la matière brute. Les statues non-peintes (ou non repeintes) sont donc une forme d’art révolutionnaire au sens le plus strict, hégélien : un dépassement de la matière, mais qui en exhibe la transformation prométhéenne. Derrière le fameux David, il y a, objectivement, le culte de l’Être suprême.

La mairie woke de Besançon, en vandalisant à la peinture (brune, en l’occurrence – mais elle aurait pu être rose – pourquoi pas ?) une statue de Victor Hugo dominant « l’Esplanade des droits de l’homme » (!) (vandalisme qui serait passé presque inaperçu sans le geste récent de deux jeunes blancs-becs nationalistes, qui ont cru devoir consacrer leur temps libre à asperger de peinture blanche le résultat de ce vandalisme d’État), produit donc une réplique concrète de ce qu’ont fait en mars 2020 les élites démocratico-davosiennes en abolissant de facto des constitutions civiques qui formaient la colonne vertébrale du 3e Occident. Le fait que (sans avoir, a priori, la moindre conscience de l’importance symbolique de leur geste) ces « femmes blanches » encartées EELV aient renoué avec l’habitus de sociétés intimement religieuses est symptomatique de ce que Kojève, quand il a commencé à douter de sa « fin de l’histoire » hégélienne, a nommé japonisation (tout en cherchant aussi à trivialiser son constat par l’application du terme de « snobisme »).

Un phénomène qui a aussi été, parallèlement et par la suite, saisi sous les vocables de Spectacle, de Séduction ou encore de New Age. Et c’est donc finalement Malraux qui avait raison : le XXIe siècle (qui n’a désormais plus le choix d’être ou ne pas être : pour notre plus grand malheur, il est) sera religieux. En témoigne la sévérité exemplaire avec laquelle on s’apprête à punir le geste des deux malheureux méta-vandales (qui reçoivent même le soutien implicite de la veuve du sculpteur d’origine sénégalaise auteur de la fameuse statue) : ce n’est pas un dommage (négligeable) au matériel public, ni même un activisme stricto sensu politique qui est ainsi puni, mais un acte de blasphème.

L’Occident a si obstinément nié la substance irréversiblement religieuse de l’humanité qu’il a produit la première génération d’athées militants susceptibles de dépasser, en bigoterie et en fanatisme, les fièvres iconoclastes ou génocidaires des pires assassins du Vieux de la Montagne. En pleine « numérisation », on rejoint le religieux par le bas, sous forme de nouveaux totémismes et de cultes cargo généralement observés parmi les ressortissants de cultures tribales qui ignoraient le travail des métaux. Cette humanité terminale/primordiale (qu’elle soit discursivement « woke » ou « suprématiste blanche ») ringardise d’entrée de jeu tous les qualificatifs (de « barbarie » etc.) dont voudront bien l’affubler les nostalgiques de telle ou telle version « conservatrice » de l’Occident.

Seule ma trilogie « YIN-Magicien-Køvíd » permet un début de compréhension de ce phénomène, dont le potentiel de destruction commence tout juste à apparaître à la surface des comportements.

Modeste Schwartz

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